Le problème du capitalisme

Il s'agit du dernier billet avant une pause de quelques semaines. Je reviendrai ensuite en Juin sur différentes problématiques scientifiques (le sens du hasard, le post-modernisme, le paranormal, ...).

Nous sommes déjà arrivé à la conclusion dans de précédents articles que le problème du capitalisme, qui est fondé sur la liberté et la propriété privée, n'est pas la liberté mais la propriété.

Une économie idéale serait basée sur un principe de rémunération éthique : le travail donne droit à la rémunération, proportionnellement à la valeur sur le marché de ce que l'on produit (bien ou service). C'est la propriété privée qui biaise ce principe, parce qu'elle permet une rémunération injuste, les revenus de la propriété. Il existe un second problème qui est lié à la gestion des communs, mais nous ne reviendrons pas dessus ici.



Les différents aspects de la propriété

Généralement, on catégorise les aspects de la propriété privé en fonction de ce que l'on en fait : le fructus, l'usus et l'abus (le droit d'en recueillir les fuits, de l'utiliser, d'en disposer pour le revendre). Mais cette classification masque un aspect important de la propriété, qui est : comment on l'obtient. Pour résumer, il existe deux manières d'obtenir la propriété : soit par la production, soit par l'achat. Il en résulte deux types de propriété distincts qui ne sont pas différenciés dans notre système économique. Pourtant, suivant la façon dont on acquière la propriété d'un bien, ce que l'on en fera s'avèrera éthique ou non.

D'un point de vue éthique, l'acquisition d'un bien par la production peut donner lieu à tous les droits : le fructus, l'usus et l'abus. Mais dans le cas de l'acquisition par l'achat, c'est à dire suite à une cessation (un abus du producteur), les choses sont différentes. L'usus est bien sûr légitime : si on achète un bien, c'est pour en avoir l'usage. Le fructus également, en tant que les fruits d'un bien sont le produit d'un travail. Si on achète une machine, c'est pour en recueillir les fruits. C'est donc l'abus qui pose problème, et particulièrement la cessation du bien à travers la revente ou la location. Dans le cas d'une acquisition par l'achat, les revenus de l'abus ne sont pas éthique, parce qu'ils ne sont pas la rémunération d'un travail, mais la rémunération de la propriété en tant que tel.

Il conviendrait donc de différencier sur le marché, à partir de ces deux modes d'acquisition, deux types d'acteurs : les fournisseurs de biens et de services d'un côté et les consommateurs de ces biens de l'autre, et en aucun cas le transfert de la propriété ne devrait permettre d'assimiler l'un à l'autre.


Le détournement de la propriété

Le fait d'assimiler les deux types de propriétaires est en réalité une forme de détournement de la notion de propriété dans son sens originelle. Dans le sens commun, s'approprier un objet par l'achat doit servir à l'utiliser, à le consommer, éventuellement à en tirer des fruits. En aucun cas il ne doit servir à tirer un revenu du simple fait de le posséder. Le capitalisme offre la possibilité de détourner le principe de propriété de son but initial, et c'est là la source de toutes ses dérives.

Si l'on veut se persuader du bien fondé de ces considérations, il n'y a qu'à constater les injustices qui résultent systématiquement de ce détournement de la propriété. Par exemple la spéculation immobilière qui rend le logement inaccessible à un certains nombres de personnes. Ou encore les bulles spéculatives qui créent des désastres humanitaires, comme les émeutes de la faim, simplement parce qu'il est possible de tirer un revenu de l'achat et de la revente des denrées alimentaires sans réellement rendre de service à la filière.

Enfin un exemple typique de ce détournement de la propriété nous est donné à travers la grande distribution, qui assure une pression considérable sur les producteurs et tire tout les bénéfices de la production, alors que son activité n'est finalement que de rendre un service, celui de rendre accessible les biens au consommateur. La même logique de pression sur la production est à l'oeuvre dans tous les secteurs. Baisser les coûts de production permet au distributeur de s'octroyer une plus-value plus importante. Pourtant ce n'est pas au distributeur que revient l'effort de la baisse des coûts de production... Si ce dernier était payé uniquement pour service rendu, le problème ne se poserait pas, et les filières de commerce équitable n'existeraient pas parce que le commerce serait équitable.

Le féodalisme économique

Mais le point central de ce détournement de la propriété à l'oeuvre dans le capitalisme est sans doute la propriété du capital. Avec elle le capitalisme s'apparente à une forme de féodalisme, dans lequel le monde financier joue le rôle de la seigneurie, et l'argent celui des armes. Aujourd'hui les états n'ont plus le pouvoir de faire face à la pression du monde financier et en viennent à sacrifier le bien commun, dont ils sont censés être les garants, sur l'autel de la compétitivité, non pas par choix mais sous la contrainte. De cet état de fait, il résulte que nos vies sont dirigées par les entreprises multinationales et que les réels décideurs ne sont pas les hommes politiques démocratiquement élus mais les puissances financières qui s'imposent par la force - non pas physique ni militaire mais économique. Nous vivons bel et bien dans un féodalisme économique.

Pourtant sur le plan éthique le problème n'est pas dans la possibilité d'entreprendre, qu'on peut assimiler à une forme de production, à un travail créatif d'organisation. Il n'est pas non plus dans la possibilité d'acheter une entreprise ou une part de l'entreprise pour en tirer les fruits. Comparons l'entreprise à une machine : nous avons vu qu'acheter une machine pour la faire fonctionner n'est pas en soi contraire à l'éthique. De même investir dans une entreprise ne devrait pas l'être.

Le véritable problème tient dans la possibilité, après avoir acheté une part d'une entreprise et en avoir tiré des bénéfices, de revendre cette part pour un montant éventuellement supérieur au montant d'achat, c'est à dire, après avoir pris possession d'une part du capital, de pouvoir être assimilé sur le marché à celui qui l'a produit. Cette plus-value spéculative, à différencier des dividendes, est une réelle captation de flux financiers réalisée grâce à l'activité de l'entreprise, et qui donc devrait lui revenir de droit. Il s'agit donc d'un véritable détournement des bénéfices de son activité.

C'est cette rente financière qui assure la mainmise du monde financier sur la production et permet aux seigneurs de conserver leur pouvoir, à l'instar des taxes imposées aux paysans à l'époque féodale. C'est elle qui leur permet de faire pression sur les états : si le cours de la bourse ne monte pas, les investisseurs vont fuir (si vous ne payez pas la taxe, le seigneur ne vous protègera plus). Pourtant si la montée du cours revenait à l'entreprise elle même, et non aux investisseurs, ceux-ci ne fuiraient pas... Ils s'intéresseraient réellement à l'activité pérenne des entreprises, puisque leurs revenus seraient les dividendes. Les bénéfices issus de la spéculation sont en réalité l'équivalent d'une taxe financière sur l'activité économique qui permet de tenir en place un système féodal.

Les ressources naturelles

Evoquons un dernier aspect de ce questionnement de la notion de propriété. Nous avons oublié un troisième moyen d'acquérir un bien, qui est simplement... de se servir. Il s'applique aux ressources naturelles et aux terres. Or il n'est pas légitime de tirer un quelconque bénéfice de ce type d'acquisition, puisque nous ne les avons ni payées, ni produites. Bien sûr nous avons toujours eu besoin des resources naturelles pour vivre, mais cette utilisation était accompagnée dans les cultures traditionnelles d'une contrepartie, sous la forme d'offrandes à la nature. Aujourd'hui, éclairés par nos connaissances scientifiques, on peut considérer que la contrepartie de l'utilisation de l'environnement devrait être d'assurer sa durabilité.

Il est possible de traduire ceci en terme économique. Ce troisième type d'acquisition doit simplement être considéré illégal, puisqu'il a lieu sans contrepartie,et nous devrions considérer, par défaut, les ressources naturelles comme un bien commun. La solution consisterait ici à confier à une quelconque instance publique la responsabilité de représenter sur le marché l'équivalent d'un "producteur" des ressources naturelles, seul habilité à les revendre, à en tirer l'abus. Les revenus seraient bien entendu entièrement dédiés à la protection de l'environnement. Ceci permettrait de réellement faire payer les pollueurs, en ce sens qu'ils détériorent un bien qui ne leur appartient pas.

Encore une fois on voit que différencier les modes d'acquisition à la propriété est un aspect essentiel de l'économie qui a était beaucoup trop négligé, et aboutit ainsi à une forme de féodalisme associé à un pillage des ressources naturelles. C'est ce système qu'on appelle le capitalisme.

Il serait donc bon de pouvoir sortir de ce système en introduisant la distinction claire entre les formes d'accession à la propriété et les droits qui en résultent, supprimant ainsi l'injustice des rentes sous toutes leurs formes et la détérioration de l'environnement.

Commentaires

Nicobola a dit…
J'ai beaucoup apprécié ton article !
Je trouve qu'aborder la politique d'un point de vue philosophique est bien plus puissant que beaucoup de débats (non sans interêts) que l'on peut croiser. Dommage que cette pratique ne soit pas plus fréquente.
Quentin Ruyant a dit…
Merci pour ce commentaire. Je pense qu'au fond beaucoup de débats politiques se font sur la base de présupposés philosophiques qui s'ignorent !

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